Par Brigitte Allain, députée EELV de Dordogne.
J’ai été auditionnée le 11 février dernier par Danielle Bousquet, Présidente du le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, avec Alain Calmette, en tant que coprésidents du groupe ruralité à l’Assemblée Nationale dans le cadre du groupe de travail ad hoc « EGATER- Egalité territoriale et égalité des femmes et des hommes », suite à la demande de rapport de N.V.Belkacem, Ministre des droits des femmes.
Voici le contenu de mon intervention :
Sur le contexte législatif :
L’égalité entre les hommes et les femmes est souvent vue sous l’angle de la ville et la ruralité en creux. D’ailleurs la commande de la Ministre du droit des femmes, s’inscrit dans la révision des outils de la politique de la ville.
Le récent projet de loi sur l’égalité hommes femmes adopté à l’Assemblée, et en discussion 2nde lecture au Sénat, marque de grande avancée pour le congés parental ou encore l’égalité professionnelle, ou encore le projet de loi sur la formation professionnelle (L’égalité entre les femmes et les hommes connait quelques avancées en séance, notamment à travers l’amendement n°362 de Catherine Coutelle, qui prévoit que les organismes collecteurs paritaires agréés (OPCA) peuvent financer les repas, transports, hébergement mais aussi les frais de garde d’enfant. Par ailleurs, l’amendement n°396 de Ségolène Neuville instaure une obligation pour les contrats de plan régional de développement des formations professionnelles d’intégrer le développement de la mixité professionnelle et des mesures visant à lutter contre la répartition sexuée des métiers.)
Mais il y très peu d’éléments sur les mesures pour les femmes en territoires ruraux dans ces projets de loi.
Sur le constat fait par le haut conseil, je le partage : On constate plus d’inégalité en zone rurale ou quartier urbain sensible. L’éloignement géographique ou la faiblesse des services publics, contribuent à accentuer les inégalités envers les femmes que l’on constate dans toute la population. Peu d’études existent sur le sujet, care type de personnes concernées très hétérogène et mobile : agricultrices, femmes seules, en couple, migrantes, nouvelles installées, etc. se déplaçant entre le milieu urbain, périurbain et rural.
Cependant, on constate des traits communs : population dispersée, petites entreprises, éloignement des centres d’information ressources, des lieux de débat ou d’échanges (ex : planning familial). Il est nécessaire de développer la proximité de ces services et les transports publics.
Les femmes en milieu rural peuvent subir un double assujettissement : professionnel et personnel. On constate un important poids du modèle traditionnel, de la femme qui adapte ses aspirations à celles du conjoint.
– Assujettissement des femmes au « chef de famille ». Globalement les femmes restent les « variables d’ajustement » d’une vie de famille.
Par exemple, en cas de déménagement à la campagne : les hommes bougent pour leur emploi, les femmes n’en retrouvent pas forcément un tout de suite, se retrouvent confrontées au manque de services pour la garde des enfants, au coût des déplacements, et a une acceptation sociétale de la dépendance des femmes vis a vis des hommes, etc… La notion même de « Bon père de famille » que j’ai fait supprimer des codes par amendement, est révélatrice de ces distorsions.
– Assujettissement « chef d’exploitations » Concernant la vie professionnelle, les emplois des femmes restent très sexués et moins valorisés (offre professionnelle limitée). Et en agriculture et dans l’artisanat, cela est particulièrement notable.
Les femmes sont « conjointes de » chefs d’exploitation (comme les conjointes d’artisans ou de commerçants). Aujourd’hui, les femmes d’agriculteurs retraitées touchent environ 500 euros par mois, quand leurs maris perçoivent autour de 800 euros.
Le concept même du rôle social qu’on veut bien laisser aux femmes les enferme dans cette acceptabilité d’un rôle minimise dans la vie économique et politique : actives dans la vie associative, l’innovation, l’entreprenariat, l’éducation, l’économie sociale et solidaire, on veut les cantonner dans des métiers spécifiques et complémentaires d’activités productives et subalternes.
La densité humaine qui conditionne la présence de services de santé de proximité met les femmes rurales en situation d’inégalité par rapport aux urbaines. Le manque accru de gynécologues, l’éloignement des maternités et des services d’urgences rend l’accès à la contraception, l’avortement et le suivi des grossesses plus difficile.
De même, les gendarmeries et les postes de police dans les petites agglomérations sont vidés de présence humaine suffisante pour recueillir les plaintes en cas de violences conjugales. Aller porter plainte contre son conjoint violent ou après avoir subi le viol par un proche voisin ou familial est plus difficile dans des petites villes ou tout le monde se connait…
Des leviers d’action publique et citoyenne existent :
La résorption des inégalités passe par une action publique d’aménagement du territoire qui améliore tous les réseaux de communications et échanges : numérique, transports publics adaptes au milieu rural. Amélioration du réseau ferré régional et interrégional.
La mise en place d’antennes locales décentralisées vers les petites villes des plannings familiaux, des services d’urgence, des hôpitaux, des instances judiciaires.
De nombreuses activités péri scolaires ou aides aux enseignants type ATSEM, mais aussi dans les services postaux, restent dévolues aux femmes, sous payées non professionnalisés et de type contractuel, à durée déterminée … Et donc précaires. Ces activités, de services publics et au publics indissociables des enseignants et postiers et autres services aux personnes, doivent être reconnues comme des métiers à part entière et soumis au code du travail.
Les Intercommunalités peuvent offrir des services (garde d’enfants) et être un échelon pour l’organisation des parents et habitants, pour mettre des initiatives en place et briser l’isolement : covoiturage, associations, etc.
Les Communautés de communes ou département pourraient avoir un « référent à l’égalité femme homme».
Demander au CNFPT (centre national de la fonction publique territoriale) des formations pour que les élus et fonctionnaires puissent intégrer les notions d’égalité dans le traitement des administrés et intègrent la notion d’utilité publique comme prioritaire dans la valorisation des salaires et des emplois.
La mise en réseau des initiatives est indispensable : via les programmes LEADER, dans le cadre du RRF (réseau rural français), il y a eu des projets « égalité homme femmes ». Il faudrait continuer ces rencontres d’acteurs qui ont été engagées.
L’association Genre et Ville, se basant sur les travaux de la chercheuse Erika Flahault sur les CittaSlow, propose par exemple la mise en place d’un label multicritère, basé sur la pratique environnementale, locale, de solidarité intergénérationnelle, de solidarité féminine, etc. qui peut avoir des répercussions positives sur l’égalité entre les femmes et les hommes.
Le commissariat à l’égalité des territoires, regroupant la délégation à l’aménagement du territoire et à l’attractivité territoriale (DATAR), le secrétaire général du comité interministériel des villes (SGICV) et l’agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSé), a été créé à l’automne dernier : il pourra être un acteur de la lutte contre ces discriminations.