« Les hommes occupent, les femmes s’occupent ». C’est ainsi que Chris Blache résume la situation. Autrement dit, tandis que les hommes se sentent légitimes à investir l’espace public, les femmes le « traversent dans leurs fonctions. Si une femme seule s’arrête dans un espace public, elle est susceptible de se faire aborder », commente cette consultante en socio-ethnographie, co-fondatrice de Genre et Ville, qui œuvre pour la mixité et la flexibilité des lieux publics.
Elle s’est déjà retrouvée devant des personnes ne comprenant pas vraiment sa démarche. « Il est convenu de dire que la ville est un espace pour tous et il est vrai qu’il n’y a pas de volonté discriminante au départ ». Voilà pourquoi elle parle d’« impensé ». « On est tellement habitué à la disparition des femmes qu’on ne la voit plus ».
Alors, bien sûr, « ce n’est pas un interdit », mais dans la réalité « les femmes vont ailleurs car il existe une vraie préemption de l’espace par les hommes ». Elle évoque ce stade de foot près de Paris où il est difficile d’obtenir un nouveau créneau pour une équipe féminine, ou ces hommes qui peinent à quitter le terrain pour laisser place ou s’insèrent avant même le début de leur créneau. Ou ces skateparks très masculins.
Un déséquilibre de l’offre sportive
On pourrait lui dire que cela ne relève pas de l’urbanisme, mais d’une problématique sexiste. Elle acquiesce : « L’hégémonie masculine n’est pas liée à l’espace, certes, mais certaines actions peuvent accentuer ce phénomène », explique Chris Blache, qui sensibilise les collectivités locales. « Le sexisme est une pelote à multiples ficelles ».
Construire à la pelle des stades de foot qui ne sont utilisés que par des garçons ne lui paraît pas opportun. Ni très juste. Tout comme le fort déséquilibre de l’offre sportive entre les garçons et les filles. « L’argent public est abondé à 50 % par les femmes ». Elle, ce qu’elle veut, c’est de la mixité.
Paroles de femmes : le respect avant toute chose ! (mars 2017)
Elle prend pour exemple La Villette en région parisienne où les grands espaces verts sont polyvalents, passant d’un terrain de foot le matin à une aire de pique-nique familiale le midi… « Cette mixité crée un sentiment de sécurité. On milite pour cette hybridation de l’espace public, au lieu de réserver de grands espaces à une seule catégorie, qu’ils soient footballeurs ou pétanqueurs ! »
Elle prend l’exemple d’un skatepark dans une cité. « On se dit qu’on va ainsi contrôler les garçons, mais au final, ces derniers vont privatiser l’espace environnement. On crée des espaces d’exclusivité. Les personnes âgées, les femmes… vont s’en sentir exclus. Au final, on génère de la discrimination ».
Elle regrette aussi la chasse aux bancs et milite aussi pour un mobilier urbain inclusif, comme des bancs de conversation. « Il faut refertiliser l’espace public ».
S’approprier l’espace
Et à la campagne ? Même combat. « Regardez qui fréquente les cafés… ». Le fait divers d’une joggeuse tuée est venue récemment rappeler les dangers qui peuvent guetter une femme.
« Oui, cette histoire, ça nous marque tous, mais cela reste de l’ordre de l’anecdotique au regard du taux de violences de l’espace privé. Très tôt, on nous apprend qu’il faut faire attention dehors, on nous demande de l’auto-contrôle, mais le danger est ailleurs. Une femme meurt tous les deux jours et demi sous les coups de son conjoint. On cherche à nous confiner à l’intérieur, sous prétexte de nous protéger. mais, tout cela, c’est une vaste entourloupe et qui ne date pas d’hier ! Au XVIIIe siècle, l’homme public, c’est la gloire, la femme publique, c’est le déshonneur, la honte. Dès lors, elle devient une proie ».
Et d’inviter : « Les femmes sont légitimes dans l’espace public. Il faut réapprendre la transgression, s’approprier l’espace, faire exploser cet état de faits ! »
Florence Chédotal