« Les femmes ont envie de s’approprier l’espace public »
Contrairement à une idée reçue, l’espace public n’est pas neutre et la question intéresse de plus en plus les collectivités, comme nous l’explique Chris Blache, cofondatrice du collectif Genre et Ville
Longtemps, les urbanistes ont cru que l’espace public était neutre et qu’il n’avait pas de « genre ». Les dernières recherches universitaires montrent le contraire. Le collectif Genre et Ville travaille depuis plusieurs années avec les collectivités sur le terrain : marches exploratoires, formations auprès des élus et des urbanistes… Une des fondatrices et coordinatrices, Chris Blache, nous livre les retours d’expériences et donne des exemples d’actions concrètes à mener pour dépasser les stéréotypes de genre.
Vous menez depuis 2012 des actions de sensibilisation auprès des collectivités sur la question de l’égalité homme-femme au sein de l’espace public. Voyez-vous des évolutions dans les discours ?
Il y a une prise de conscience au niveau des collectivités territoriales, même si le sujet de l’égalité homme-femme au sein de l’espace public est encore balbutiant. Plusieurs villes et intercommunalités mènent des actions concrètes : Paris, Plaine Commune (Seine-Saint-Denis), Villiers-le-Bel (Val-d’Oise) Ce discours fait aussi écho auprès des urbanistes. Nous avons atteint un stade où l’on a beaucoup pensé la cité de demain en termes de développement durable et d’effort technologique. En revanche, le pendant égalitaire est beaucoup moins avancé C’est pourquoi notre association travaille sur ces enjeux. On agit sur le plan de la recherche, et également sur le terrain, en organisant, par exemple, des formations auprès des élus et des experts des collectivités.
Comment les femmes s’approprient-elles l’espace public ? En quoi leur approche est-elle différente de celle des hommes ?
Sur le logement, la question de l’égalité est cruciale. Une étude de l’Ademe a montré que, pour réguler leur budget, les femmes coupent d’abord le chauffage. D’où l’importance des enjeux de rénovation énergétique. A propos des équipements sportifs, la question se pose aussi : les budgets alloués les plus élevés sont systématiquement ceux des équipements destinés aux garçons. Et les femmes s’attardent peu dans ces lieux, car il y a des corollaires à leur présence : apostrophes, sifflements, etc. On pourrait plutôt prévoir des lieux plus polyvalents. Plus globalement, il y a tout une réflexion à mener sur le mobilier urbain, les arrêts de bus, les gares, et aussi les lumières pour rendre la ville plus agréable et plus « sensible ». Les femmes ont envie de pouvoir s’arrêter dans l’espace public, et de s’y attarder !
On parle beaucoup d’insécurité pour les femmes en ville, moins dans les campagnes. Qu’en est-il ?
Lorsque l’on parle de « zone sensible » en ville, on entend souvent « insécurité ». Or, on se rend compte que, plus on enferme une rue, moins cette rue est agréable à vivre. La sécurité est un cercle vicieux, qui augmente le sentiment d’insécurité. Pour nous, le mot « sensible » doit être pensé au sens premier de sensibilité. Il faut changer notre vision de l’espace public, la rendre moins « froide ». En ce qui concerne les espaces ruraux, il n’existe pas de travaux à ma connaissance. Mais ceux-ci sont aujourd’hui des espaces « quasi urbains » : les fonctions dévolues aux femmes sont excentrées. Il faut avoir une voiture, sinon on est en difficulté. Or, la voiture est une variable d’ajustement. Les femmes qui n’en ont plus se réorientent vers d’autres métiers, qui nécessitent moins de déplacements Et leur périmètre de vie s’en trouve réduit.