Supprimons le 1 et le 2 dans le numéro de Sécu
22 octobre 2012 à 19:07
Par CHRIS BLACHE Ex-conseillère d’Eva Joly, activiste du groupe féministe la Barbe
L’attribution des chiffres 1 ou 2 dans le numéro de la Sécurité sociale impose, dès la naissance, une hiérarchie explicite : en tête, le masculin, en éternel second, le féminin. Cet héritage installe avant même nos premiers pas dans la vie, d’un côté la confiance, de l’autre le doute. Numéro «signifiant», c’est-à-dire non aléatoire, ce numéro nous qualifie dès notre inscription à l’état civil, et impose à travers sa première colonne déterminant le sexe, une hiérarchie symbolique et une dualité qui range les unes et les autres dans deux catégories étanches, que l’on oppose. Et, en dépit de la création récente d’un chiffre 3 pour représenter les identités transitoires, cette première colonne n’en reste pas moins un outil de classification à la fois, suspect dans sa volonté de nous identifier à tout prix comme «appartenant à», et stigmatisant dans sa façon de nous définir selon des critères binaires et hiérarchiques.
Elaboré en 1934 et mis en place en 1941 à des fins militaires par la Société nationale des statistiques – devenue l’Insee en 1946 –, ce numéro de matricule est né asexué, ou plus exactement, masculin. Le numéro Carmille – du nom de son concepteur – avait pour fonction de recenser les hommes valides pour une mobilisation rapide. La colonne qualifiant le sexe, avec les chiffres 1 pour les hommes et 2 pour les femmes, fut rajoutée a posteriori pour cacher sa fonction stratégique et lui donner une apparence civile. En 1945, le numéro Carmille devient le numéro de Sécurité sociale, outil au service de l’économie planificatrice de l’après-guerre. En transformant l’unité familiale, avec l’homme comme chef de famille, en produit statistique, l’Insee installe durablement dans notre ADN un «signifiant sexué» qui calcifie aujourd’hui encore notre modèle social. Et l’on voit combien la formalisation de ces normes continue de faire obstacle à une transformation sociétale pourtant en marche depuis la fin des années 50. Nos modes de vie ont en effet remarquablement évolué. Solo, homo, en couple, avec ou sans enfants, les individus se marient ou non, se pacsent, divorcent. Les familles se recomposent, ou pas. L’unité familiale construite sur le modèle patriarcal a vécu, pourtant les normes ont survécu. A travers ces qualifiants, une histoire de domination a bien été organisée et officialisée par l’état civil. Une histoire à lecture unique qui rend non seulement irréaliste, mais souvent inimaginable, la possibilité pour les unes, comme pour les autres, de se projeter ailleurs que dans des rôles assignés. Nos identités dépassent pourtant largement ces deux catégories et ne sont conditionnées à notre sexe, que par des habitus, voire des diktats dont il s’agit de se débarrasser urgemment. En ce sens, nous sommes toutes et tous des 3. Des êtres complexes et en transition constante, dont aucune des trajectoires n’est identique, linéaire ou définitive. Alors, ni une ni deux, supprimons les classifications !